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La noblesse de l’enseignement

« Passer en deuxième, voilà ce que veut dire être enseignante et enseignant. »

Ce texte est la traduction d’un article paru dans la revue de l’Alberta Teachers’ Association, The ATA Magazine, automne 2006. L’auteur du texte, Jim Parsons, est actuellement le directeur de la maîtrise en éducation à la faculté d’éducation de l’Université de l’Alberta et contribue régulièrement à The ATA Magazine.

Après trente et un ans à l’Université de l’Alberta, voici venu le temps de partir. Je comprends maintenant pourquoi Wayne Gretzky a fait une tournée d’adieu.

En 1975, j’ai eu la chance extraordinaire d’être embauché comme professeur au Département d’enseignement secondaire de l’Université de l’Alberta. J’y ai développé des amitiés à vie et ai eu une merveilleuse carrière. J’ai été moi-même enseignant et ai enseigné à d’autres enseignantes et enseignants.

Lors de ma tournée dans les écoles, j’ai retrouvé des anciennes étudiantes et anciens étudiants du programme d’études du premier cycle. Certains sont devenus vice-présidentes ou vice-présidents de collèges et d’universités de la province, directrices et directeurs, gestionnaires au sein de l’Association des enseignants de l’Alberta, surintendantes ou surintendants d’écoles et, mieux encore, enseignantes et enseignants.

J’ai échangé avec de nombreux jeunes et des enseignantes et enseignants qui ont enrichi ma vie. J’adore me retrouver dans une école et côtoyer les élèves et le personnel enseignant.

Je suis fier d’être professeur; j’espère que ça se sent dans mon texte. Je crois que la profession enseignante est la plus noble profession qui soit, et j’ai eu la chance d’en faire partie. J’aime les jeunes et je voulais les aider. À leur tour, mes propres enfants et mes élèves m’ont bien enseigné : dans ma carrière d’enseignant, j’ai toujours passé en deuxième, et ce, à tous points de vue.

Au cours de mes trente années passées à l’Université de l’Alberta, j’ai conseillé plusieurs jeunes enseignantes et enseignants et, porté par mon enthousiasme pour la profession enseignante, je ne m’en suis pas privé. J’ai ici l’occasion, peut-être pour la dernière fois, de conseiller des gens qui en sont à leur première année d’enseignement. Les conseils que je vous donne aujourd’hui sont, je crois, les meilleurs que j’ai donnés. « Mes plus grands succès », si l’on peut dire.

« Tant qu’à marcher la tête baissée…. aussi bien chercher de l’argent. »

J’ai en tête un livre intitulé Les aventures de Jim le stupide. J’ai fait de graves erreurs en tant qu’enseignant. Nous en faisons toutes et tous, et vous en ferez aussi. Mais ne vous arrêtez pas à vos erreurs; gardez les yeux ouverts et si vous tombez sur un billet de 20 $, ramassez-le!

Vos moments de désespoir ne devraient pas s’éterniser, et ne vous défoulez jamais sur vos élèves. N’envisagez même pas d’avoir de la rancune : les enseignantes grincheuses et les enseignants grincheux ne font pas long feu. Par contre, on pardonne à celles et ceux qui sont à l’écoute de leurs élèves. Secouez-vous et faites votre travail!

Je peux vous promettre qu’en tant que membre de la profession enseignante, vous aurez une carrière remplie! Et ces personnes que vous rencontrerez vous intrigueront et vous émerveilleront. Elles vous feront du mal et vous feront du bien.

Quel est le but de l’enseignement? Les élèves! Vous avez choisi de passer en deuxième et de faire passer vos élèves en premier. Vivre ce choix dans le quotidien n’est pas toujours facile; c’est ce qui fait la noblesse de la profession enseignante!

« Gérez bien votre temps; où que vous soyez, soyez-y à 100 %! »

Vous arrive-t-il de croiser quelqu’un dans le corridor et, pendant que vous lui parlez, cette personne ne cesse de regarder autour d’elle, comme si elle attendait qu’une personne plus intéressante passe? Comment vous sentez-vous alors? Les enseignantes et les enseignants ont quotidiennement des centaines de petits bouts de conversation avec leurs élèves, et ce, souvent à des moments qui ne leur conviennent pas. Ce sont habituellement des choses que vous avez dites et répétées mille fois. Vous avez donné ces directives hier ou un élève dramatise une situation, car il a simplement besoin d’attention. Soyez à l’écoute; pour cet élève, ce moment peut revêtir une grande importance. Il oubliera ce dont vous avez parlé dans trois secondes, mais il se rappellera l’attention que vous lui aurez accordée. Peu importe où que vous soyez et avec qui, soyez-y à 100 %!

« Un plan de cours est essentiel, à moins que quelque chose de mieux ne se présente. »

Les meilleurs jours de ma carrière d’enseignant sont arrivés par hasard – les jours où j’avais planifié une activité et que quelque chose d’autre est survenu. Certaines enseignantes et certains enseignants tiennent mordicus à leur plan de cours, mais la vie de l’enseignante et de l’enseignant se construit un peu au jour le jour, et le fait d’être ouvert à l’imprévu aide véritablement. Apprenez à sentir le moment présent; il peut s’agir d’un grand bouleversement, d’un événement qui s’est produit à l’école ou dans la communauté, ou d’une question d’un élève. Suivez la vague!

N’allez pas croire qu’une salle de classe doit être un endroit toujours ouvert où n’importe quoi et son contraire sont possibles, et où chaque jour on déroge du programme. Il importe de suivre le curriculum, et les enseignantes et les enseignants non préparés lèsent leurs élèves. Ces derniers apprécient la structure; les changements continuels les déroutent et les frustrent. Préparez-vous sérieusement, mais soyez à l’affût des possibilités. Si quelque chose de mieux se présente, profitez-en!

« Enseigner, c’est avoir le choix de s’amuser ou non. »

La formation à l’enseignement peut être très exigeante. « Ne souriez pas avant Noël », dit le vieux proverbe; au contraire! Célébrez chaque jour, souriez et détendez-vous! Les choix n’ont pas tous nécessairement des conséquences désastreuses.

Votre relation avec les jeunes est la pierre angulaire de votre enseignement, alors l’élément important, c’est les jeunes. Quand j’ai enseigné au premier cycle du secondaire, il y en a eu des rires et il y en a eu des pleurs. Profitez des situations cocasses! Racontez des anecdotes, riez de vous-même. Soyez honnête et authentique. Appréciez le moment présent. Vos élèves vous adoreront!

Apprendre est foncièrement agréable. Une pédagogie qui intègre le jeu, la création, les activités centrées sur les élèves, les « folies », les blagues propres à la classe, l’enseignement par groupes, le mouvement, le théâtre et toute autre activité qui sort de l’ordinaire devrait faire partie de votre enseignement. Le bavardage et les réactions des élèves ne constituent pas de problèmes de discipline lorsqu’ils sont reliés au contenu du cours. Enseigner au premier cycle du secondaire m’a appris qu’il m’était impossible de faire taire les élèves, mais qu’il m’était possible de leur faire de la place pour parler et réagir, tout en respectant les objectifs du curriculum.

« À la personne qui a le plus de discernement incombent les plus grandes responsabilités. »

Pendant plusieurs années, j’ai été entraîneur de basketball féminin à l’école secondaire. Plusieurs pères, motivés par le bien-être de leur fille ou aveuglés par leur amour paternel, m’ont malmené parce que je n’avais pas vu le talent (évident!) de leur fille, ou bien parce que je lui avais « brisé le cœur » en ne la faisant pas jouer assez souvent ou pas du tout. Peut-être avaient-ils raison, mais je n'y crois pas. Par contre, ils avaient raison d’appuyer leur fille à 100 %. Et c’est là où je veux en venir : le fait de connaître leur raison pour me malmener ainsi me permettait de ne pas débattre avec eux de points qui, à mon sens, étaient logiques, mais qui pour eux devenaient personnels.

Notre profession requiert que nous travaillions et entrions en relation avec des gens qui ont moins de discernement que nous. Par définition, nous sommes les personnes les plus âgées en salle de classe et, parfois, les plus matures. Notre discernement nous amène à mettre de côté notre sentiment de justice personnelle au profit de notre leadership. Les personnes que nous côtoyons peuvent être frustrées, parfois en colère, et n’ont souvent aucune idée de la façon dont elles pourraient améliorer leur vie. Notre travail est injuste, mais c’est comme ça que nous, enseignantes et enseignants, vivons. Vous vous retrouverez dans des situations accaparantes mais temporaires, car la situation se règlera rapidement; dans des situations personnelles où on vous remettra en question et parfois même où on abusera de vous; dans des situations plus complexes, où il semblera n’y avoir aucune solution facile à cause de la nature du problème.

Servez-vous de votre tête; pensez à votre objectif final et prenez des décisions en ce sens. Évitez de réagir sur le coup et rappelez-vous que votre travail consiste non pas à vous protéger, mais bien à protéger vos élèves. La plupart des situations problématiques se règlent rapidement, mais c’est votre façon d’y réagir qui restera gravée dans la mémoire des gens.

« Le travail de l’enseignante et de l’enseignant consiste à construire, dans l’esprit du jeune, une image de réussite si solide que rien au monde ne pourra l’ébranler. »

Il y a de cela de nombreuses années, j’ai essayé de repérer un seul élément du programme de sciences sociales qui aurait un impact sur la vie de tous les élèves; je n’ai rien trouvé. Aucun énoncé, aucune notion incontournable qui ferait une différence dans leur vie. Alors, à quoi sert l’enseignement? C’est tout simple et c’est immuable. Dans toute société démocratique, la profession enseignante consiste à former de bonnes citoyennes et de bons citoyens, des gens talentueux et réfléchis, conscients de l’aide qu’ils peuvent apporter et qui ont les connaissances et les habiletés pour réussir.

La clef consiste à aider les élèves à accroître leurs connaissances et leurs habiletés. Il existe deux façons d’y arriver : en encourageant ou en punissant. Les enseignantes et les enseignants qui choisissent la méthode punitive cherchent à rendre les élèves dociles et accommodants en édifiant une structure hiérarchique dans laquelle les élèves se retrouvent au bas de l'échelle, incapables, en fin de compte, de prendre des décisions ou si peu sûrs d’eux-mêmes qu’ils en arrachent lorsqu’ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. Il est très facile d’enseigner de cette façon, car on traite tous les élèves de la même manière; l’enseignante ou l’enseignant n’a pas à se soucier des différences individuelles. De cette pratique résulte la dépendance. Il est beaucoup plus difficile d’apprendre à connaître réellement ses élèves, de prendre au sérieux qui ils sont et ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas faire, et d’encourager leur apprentissage et leurs idées, même s’ils sont immatures.

Quels que soient les talents et habiletés de vos élèves, aidez-les à réussir à l’école. Ils adorent faire des tests (quand ils connaissent les réponses), alors aidez-les à les connaître. Ne leur mâchez pas tout; exigez qu’ils travaillent fort, qu’ils apprennent et qu’ils réussissent. Le sentiment de réussite est grisant : ils voudront le revivre encore et encore. La réussite change la perception que l’on a de soi et met en branle une volonté de travailler fort et de célébrer ses réalisations. Les relations deviennent agréables et les conversations se transforment en échanges. Le travail est dur, mais il est bon. La situation n’est plus « élèves versus enseignantes/enseignants », mais plutôt toute la classe versus le test. La réussite transforme une classe en équipe.